jeudi 22 juillet 2010

BATOCHE, PARTIE 2: Sur les traces de Louis Riel



Batoche. Là où s’est joué le destin de la nation métisse, de l’Ouest canadien et même, oui, du Canada tout entier.

Batoche, c’est un petit village qui a été fondé vers les années 1840. Des Métis s’y sont installés car c’était un lieu stratégique sur la piste Carlton, qui allait de Winnipeg à Edmonton et qui était le chemin emprunté par les coureurs des bois à l’époque. C’est un dénommé Letendre, dit Batoche, qui a décidé d’exploiter le site. Comme c’était un point névralgique sur la rive est de la rivière Saskatchewan Sud, et qu’il fallait traverser cette rivière pour se rendre à Edmonton, Batoche a eu l’idée de s’y installer pour s’exercer au « frétage », l’ancêtre du traversier. En payant un droit de passage, on pouvait utiliser le bac, un petit bateau assez plat, pour traverser sur la rive ouest de la rivière. Le « frétage » a rapidement rendu Batoche prospère, et plusieurs Métis l’ont imités. Mais l’installation n’est devenue permanente que dans les années 1860.

Le village de Batoche était donc, dans les années 1870-80, la « capitale » en quelque sorte des Métis. On y trouvait plusieurs fermes, des magasins, un « relais » (un genre de saloon, mais où on vendait en plus des marchandises), une église…C’était un village en pleine expansion, un des endroits incontournables dans l’Ouest canadien.

Hélas, au début des années 1880, des tensions importantes naissent dans l’Ouest. Le gouvernement canadien, craignant l’expansionnisme américain, faisait venir des immigrants de partout en Europe pour peupler les Territoires du Nord-Ouest (qui regroupaient aussi à l’époque une grande partie du Manitoba, la Saskatchewan, l’Alberta et le Yukon). Mais la division des terres se faisait en cantons (des terres très vastes et carrées), et non en seigneuries (bandes étroites et longues, donnant accès à un cours d’eau), comme l’avaient pratiqué les Métis. Ce qui fait que des immigrants volaient les terres des Métis, qui n’avaient pas de titres de propriété. De plus, Ottawa refusait aux Métis, surtout francophones et catholiques, les mêmes droits que les Canadiens français. Pour conclure, le monopole sur les fourrures revenait alors à la Compagnie de la Baie d’Hudson, qui obligeait les Métis à leur vendre à bas prix.

On comprend qu’avec tous ces facteurs combinés, les Métis en ont eu marre. Aussi, en mars 1885, décident-ils de se déclarer indépendants. Ils obtiennent l’appui des autochtones, qui ont été trahis par le fédéral: Ottawa ne respecte pas les promesses qu’il leur a fait des années plus tôt. Le chef métis de Batoche, Gabriel Dumont, décide de traverser au Montana pour aller chercher Louis Riel, en exil là-bas depuis la Rébellion de la Rivière Rouge. Il espère que Riel, en tant que chef de leur gouvernement provisoire, saura faire plier le fédéral, comme dans le cas du Manitoba en 1870.

Les Métis réclament donc:

a) la reconnaissance de leurs droits de propriété;
b) le droit à un gouvernement provincial;
c) le respect des promesses faites aux autochtones et aux Métis;
d) la fin du monopole de la Compagnie de la Baie d’Hudson sur la traite des fourrures.

Le gouvernement fédéral ne fait pas dans la dentelle. Désireux de ne pas laisser les choses traînées comme au Manitoba 15 ans plus tôt, il recrute sur-le-champ une milice (qui deviendra l’armée canadienne peu après) et charge la GRC de mater la révolte le plus tôt possible. Plusieurs escarmouches et batailles ont lieu durant le printemps 1885 entre la GRC et les Métis et autochtones, mais aucun affrontement n’est décisif.

En avril, la milice est déjà à Regina, grâce au chemin de fer, et recrute dans la région parmi les nouveaux arrivants. Au début du mois de mai, elle est maintenant forte de 800 membres. Elle part vers le nord, rejoindre la GRC. Personne n’est dupe: c’est à Batoche que le destin des Territoires du Nord-Ouest va se jouer.

Le 9 mai, la milice et la GRC, sous les ordres du général Middleton, parviennent à Batoche. Ils sont attendus de pied ferme par les Métis, qui ont créé un système de défense du village. La bataille commence, Middleton lance un assaut, mais il est incapable de prendre la crête de la mission, une colline entre le village et la rivière Saskatchewan Sud, d’où on peut tout voir ce qui se passe à des kilomètres à la ronde. La nuit tombe donc, et les Canadiens battent en retraite. Les Métis ont résistés admirablement.

Mais Middleton ne s’avoue pas vaincu. Le lendemain, 10 mai, il installe ses canons au sud du village, dans un camp appelé « zareba ». Il commence à pilonner Batoche. Ce n’est plus qu’une bataille, c’est un siège. Les canons surprennent les Métis, qui eux se sont préparés à combattre au fusil. Le 11 mai, la canonnade se poursuit, mais Middleton tente une reconnaissance du terrain. Il remarque alors que plusieurs Métis abandonnent leurs positions pour le suivre. Cela affaiblit leurs forces, qui se dispersent. Middleton tente donc une attaque de diversion, au nord de Batoche, par la rivière Saskatchewan Sud. Les Métis tombent dans le panneau et combattent sur la rive. Sachant maintenant comment prendre le village, Middleton replie ses troupes dans la zareba.

Le 12 mai, l’assaut final est déclenché. Middleton lance simultanément deux attaques, une de diversion, au nord de Batoche, et l’autre au sud, et fait bouger ses troupes rapidement. Les Métis sont débordés, leurs lignes enfoncées. Les Canadiens pénètrent dans Batoche et prennent le lieu stratégique de la crête de la mission. Comprenant que tout est perdu, Dumont et Riel ordonnent aux combattants de fuir. La Rébellion du Nord-Ouest a été un échec.

Cette défaite métisse aura un impact durable sur l’Ouest canadien. Le Canada est vainqueur sur toute la ligne: toutes les terres des Territoires du Nord-Ouest sont divisées en cantons, les droits des Métis bafoués sous prétexte de maintenir l’ordre, la question du gouvernement provincial renvoyée aux calendes grecques et la Compagnie de la Baie d’Hudson conserve son monopole. Mince consolation: les autochtones, parqués dans des réserves, reçoivent la nourriture promise par le fédéral depuis 10 ans.

La Rébellion du Nord-Ouest a aussi ruiné Batoche. Il est décidé après les événements que le chemin de fer transcanadien passera plus au sud, ce qui met fin à la position de carrefour de Batoche. En quelques années, le « frétage » tombe en désuétude, et la prospérité de la capitale métisse est chose du passé. En 1900, la misère est devenue le quotidien des Métis. Le site de Batoche est complètement abandonné en 1920, après une épidémie qui décime la population restante. Le village ne renaîtra de ses cendres que des décennies plus tard, et plus au nord. D’ici là, un parc national aura été fondé sur le site de l’ancien Batoche, déclaré lieu historique par Patrimoine Canada.

On trouve encore, dans le parc national, l’église et le cimetière de l’époque: les Métis les utilisent toujours. On trouve aussi les ruines de la zareba et les fondations de plusieurs maisons et magasins importants du Batoche de 1885. Les bâtiments d’une ferme, qui appartenait au métis Caron, sont toujours debout, et on peut les visiter. Enfin, on trouve encore un trou de tirailleur, utilisé dans le système de défense lors de la rébellion. Mais surtout, on sent quand on visite ce site encore très boisé tout le poids du passé qui nous écrase. Les paysages et la vue depuis la crête de la mission sont incroyables.

C’est un détour qui vaut la peine pour quiconque visite la Saskatchewan. Ça nous fait réaliser que le Canada ne s’est pas bâti dans la tranquillité à l’ouest de l’Ontario.

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