dimanche 11 juillet 2010

QUAND LA MALCHANCE S’ACHARNE…

Après la pluie, le beau temps, dit un dicton populaire. Hélas, en ce qui concerne les fermiers de la Saskatchewan, il faudrait plutôt dire: « Après la pluie, la perte de revenus. » Selon les plus récents chiffres, environ 30% des terres agricoles de la Saskatchewan sont inondées. Cela signifie que sur tous les champs de la province, près du tiers risque de ne rien produire cette année. Quand on vit de ses cultures, je vous laisse imaginer le désastre au niveau financier.

S’il est vrai que ce qui est majoritairement cultivé dans la province est le blé, l’avoine et l’orge, vous devez savoir que depuis les années 1960, les agriculteurs s’efforcent de diversifier leurs cultures. Ainsi, par exemple, si un été, une maladie frappe le blé, ils sont moins perdants s’ils disposent d’autres produits, intacts, qui peuvent être vendus. De plus, les cultures sont maintenant cotées en bourse, et c’est le marché qui fixe le prix de la tonne d’une céréale quelconque. Donc, si une année il y a surabondance d’orge, le prix de la tonne baissera. Par contre, si le cultivateur saskatchewanais a aussi cultivé du lin, et qu’ailleurs dans le monde ça n’a pas été une bonne année pour cette plante, il peut compenser ses pertes sur l’orge en vendant plus cher que d’habitude sa tonne de lin.

Mais voilà que maintenant, ce système risque de ne pas fonctionner cette année pour les agriculteurs de la province. En Saskatchewan, une des cultures les plus sûres, c’est la graine de canari. Il s’agit d’une plante dont les grains servent à nourrir la grande majorité des oiseaux exotiques, surtout en Amérique latine. Depuis les années 1970, plusieurs cultivateurs s’y sont mis, si bien qu’à l’heure actuelle, le Canada est le principal producteur mondial de graines de canari. Et la province canadienne qui en produit le plus, c’est la Saskatchewan: 90% des graines canadiennes sont cultivées ici, ce type de culture occupe maintenant plus de 400 000 acres: c’est 1% de toutes les terres cultivées de la province.

La graine de canari a longtemps été réputée comme une valeur sûre, car sa valeur bouge peu, comparé aux autres cultures, sur le marché. Mais cette année, hélas, ça va changer. Du fait que partout dans le monde, c’est jusqu’à présent une très bonne année pour les cultures, le Mexique, importateur numéro un mondial de graines de canari, a décidé de tenter de faire baisser les prix. Il a trouvé pour cela une excellente tactique: empêcher la graine de canari canadienne d’entrer sur son sol.

Le prétexte vient du fait qu’une autre plante se mélange beaucoup dans les champs à la graine de canari: le sarrasin sauvage. Officiellement, le Mexique ne veut pas de sarrasin sauvage sur son sol, car cela met en péril la biodiversité de son propre sarrasin s’il y a contamination. Cependant, on n’avait jamais jusqu’à présent consacré de réels efforts à empêcher le sarrasin sauvage d’entrer au pays. Cette année, toutefois, ça a changé: le gouvernement mexicain a informé l’Agence canadienne d’inspection des aliments que toute cargaison de graines de canari contenant UN SEUL grain de sarrasin sauvage serait instamment retourné au Canada. Or, aux dires de la Commission pour le développement de la graine de canari en Saskatchewan, c’est impossible de passer au peigne fin toutes les cultures ainsi. Pour 100 g de graines de canari, on trouve facilement jusqu’à une douzaine de grains de sarrasin sauvage. Imaginez donc le travail pour les trouver dans une tonne! C’est pourquoi, on s’attend maintenant à ce que le Mexique interdise purement et simplement la graine de canari canadienne. La seule façon de les faire reculer, aux dires de Sylvain Charlebois, un économiste que j’ai interviewé, serait d’abaisser considérablement le prix de la tonne.

C’est donc une nouvelle tuile qui s’abat sur la tête des cultivateurs. Après toutes les inondations vécues cette année, plusieurs comptaient sur la graine de canari pour s’assurer un revenu décent. Hélas, si le prix doit baisser autant qu’on le croit, ils devront vendre à perte. Ce serait un vrai désastre pour ces agriculteurs, qui pour la plupart ont des hypothèques à payer et doivent vivre à crédit jusqu’à l’été prochain. L’assurance provinciale sur les récoltes et les fonds débloqués récemment par le fédéral les aideront assurément, mais sans vente à prix élevé de graines de canari, les fermiers d’ici vivront bien chichement.

C’est ici qu’on réalise à quel point la spéculation sur les produits alimentaires est dévastatrice. Déjà, en 2007, avec la crise alimentaire mondiale, on avait pu remarqué ce non sens. Plusieurs économistes avaient fortement demandé à ce qu’on retire les produits alimentaires des marchés, trouvant dangereux de jouer à la bourse la vie de millions d’individus. La nourriture, ce n’est pas comme les actions d’une banque, c’est une nécessité vitale. La flambée des prix fait nécessairement des victimes dans les pays en voie de développement. On voit maintenant aujourd’hui, avec le cas de la Saskatchewan, que revoir des prix trop à la baisse est tout aussi dommageable: encore là, c’est avec la vie de fermiers qu’on joue. Déjà malchanceux cette année pour toutes les autres cultures, si les agriculteurs de la Saskatchewan perdent au change sur la graine de canari, c’est la pauvreté et peut-être même la faillite qui attendent plusieurs d’entre eux. Nul ne sait si le Mexique s’entêtera, mais une chose est sûre: avec tous les malheurs qu’elle a vécut cette année, la Saskatchewan n’a vraiment pas besoin d’avoir le marché contre elle.

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