samedi 18 septembre 2010

CARNET DE VOYAGE, PARTIE 1



Je sais, je sais, je ne suis pas le plus productif des blogueurs. Un mois complet depuis mon dernier texte. J’ignore si certains d’entre vous me lisent encore, mais si c’est le cas, merci de votre patience. Je vous jure que je pense encore à vous, c’est le temps qui me fait défaut. Et quand je l’ai, je vous avoue que je le prends souvent pour autre chose. Mais bon, après plusieurs jours à me dire: « Je vais le faire », j’ai enfin repris le clavier d’ordinateur pour vous raconter mon plus récent voyage.

Il commence à dater…c’était la fin de semaine de la Fête du Travail, il y a donc 15 jours. Comme j’ai fait pas moins de 1700 kilomètres en trois jours, je vais diviser le voyage en trois, pour bien parler des trois endroits où j’ai mis les pieds pour plus qu’un plein d’essence ou un arrêt à la salle de bain.

Samedi, 4 septembre 2010

Après avoir pris la voiture réservée plus tôt dans la semaine, je prends la bonne vieille Transcanadienne. Direction: l’ouest. Après 3 heures sur l’autoroute réputée comme la plus ennuyante au pays (et je suis peiné de le confirmer, la mettant ex aequo avec notre 40 québécoise), j’arrive à Swift Current, ville la plus importante du sud-ouest de la Saskatchewan. Elle compte 16 000 habitants, et en plus d’être un important centre de services, c’est LA place de la province où on trouve le plus de compagnies d’extraction de pétrole et de gaz naturel. L’économie locale est énormément basée sur l’exploitation de combustibles fossiles.

Tout de suite après Swift Current, on quitte enfin la Transcanadienne (à notre grand bonheur) pour la route 32, vers le nord-ouest. Plus on avance sur cette route, plus le décor change. On entre tranquillement dans un paysage digne d’un western de Sergio Leone. Le spectacle est hallucinant, on n’arrive pas à croire qu’on est toujours au Canada. Le sol est de plus en plus sablonneux, mais une multitude d’herbes sèches y pousse néanmoins. Pas de cactus, on s’entend, mais plusieurs petits buissons épineux et des herbes folles. Et surtout, plusieurs buttes à perte de vue, où vont paître des vaches, des moutons et surtout, surtout, des chevaux. Les plus grands éleveurs de l’Ouest du Canada se trouvent dans la région, des deux côtés de la frontière alberto-saskatchewanaise. Bienvenue au pays des ranchers.

Après une petite heure à poursuivre notre chemin vers le nord-ouest, on arrive enfin dans la petite ville de Sceptre (prononcé Sep-teur, à l’anglaise). Là, il y a un petit chemin de gravier à prendre pour aller plein sud. Je conseille à quiconque y va de s’adresser sur place au Great Sandhills Museum plutôt que de chercher par lui-même: c’est trop difficile d’avoir le bon chemin et ne pas se buter, après 15 minutes, sur un ranch où s’arrête la route.

On prend donc ce petit chemin de gravier, puis après environ neuf kilomètres, on tourne vers l’ouest, sur un chemin de terre. Rapidement, on reprend un autre chemin de terre vers le sud. Quelques kilomètres plus tard, on arrive enfin à destination: les Great Sandhills.


À la fin de la dernière époque glaciaire, presque toute la Saskatchewan était recouverte d’un glacier. Lorsque celui-ci s’est mis à fondre, l’eau a transporté avec elle quantité de sable, qui s’est tout déposé dans la même région, à environ 100 km au nord de Swift Current. Cela a créé d’énormes dunes de sable, séparées entre elles par de petits vallons: les Great Sandhills.

Comme vous pouvez le voir sur les photos, seule une végétation extrêmement résistante a réussi à prendre possession des Great Sandhills. Dans les vallons, quelques arbres. Mais sinon, c’est comme notre petit désert à nous. Des plantes basses et épineuses, des herbes folles, des fleurs sauvages, des mousses semblables à du lichen. Mais surtout, du sable blanc, à hauteur d’homme et plus haut encore, et à perte de vue. De quoi couper le souffle au sommet d’une dune, avec le ciel bleu au-dessus de ces monstrueux amas de sable.

Les Great Sandhills ont eus de la chance. Contrairement à leurs homologues albertains, les Sandhills, ils n’ont jamais été peuplés. Le sol était impropre même à l’élevage extensif, et les ranchers les ont négligés. Ce qui fait que sur 1900 km², on trouve encore cet environnement dans un état sauvage. En conséquence, la province en a fait une aire protégée, et surveille étroitement l’endroit pour s’assurer que les touristes et les ranchers ne mettent pas en péril le fragile écosystème de l’endroit. Je n’ai pas eu l’occasion d’en voir durant mon séjour sur place, mais on m’a dit que quelques gardes-chasse patrouillent à cheval la région, et veillent à préserver l’environnement tel quel.

Soyons clair toutefois: ce n’est pas parce que les Great Sandhills sont désertiques en apparence que c’est le cas. Si vous avez l’occasion de faire une petite randonnée pédestre dans cette région désolée, vous verrez rapidement plusieurs espèces d’oiseaux et d’insectes que nous ne pourrons jamais voir au Québec. C’est également un des seuls lieux en Saskatchewan où on trouve encore quelques antilopes d’Amérique. On peut aussi, si on est chanceux (ce qui n’est pas mon cas) voir des troupeaux de cerfs (plus près en apparence toutefois des wapitis). J’ai également pu voir sur place deux renards roux, qui ont hélas filés en m’entendant, si vite que je n’ai pu prendre de photos. Apparemment qu’ils se nourrissent surtout de petits rongeurs dans les Great Sandhills. Et oui, nos amis les chiens de prairies ont élu domicile même dans cette contrée aride, ce qui fait que leurs prédateurs naturels ont suivis.

Les Great Sandhills sont donc un environnement des plus particuliers, et le Québécois de passage ne peut qu’être subjugué par un paysage si différent de celui auquel il est accoutumé. C’est aussi l’occasion pour les amoureux de la nature de se recueillir avec celle-ci. Suffit de s’éloigner un peu de la route pour se débarrasser de la plupart des touristes et se retrouver dans un monde inconnu, où nous sommes l’intrus. Conjugué une telle expérience avec une journée ensoleillée, et vous passerez une merveilleuse journée en-dehors des prairies.

jeudi 19 août 2010

LA POTASSE…QU’EST-CE C’EST ÇA?

Si vous avez un peu suivi les nouvelles économiques ces deux derniers jours, un mot a certainement dû vous faire sourciller: la potasse. Une compagnie minière basée en Australie, BHP Billiton, a en effet déposé une offre d’achat pour une grosse entreprise dans l’Ouest, la Société de la potasse de la Saskatchewan, ou comme tout le monde l’appelle, Potash Corp.

Si vous êtes un tantinet curieux, je suis persuadé que vous vous êtes demandé pourquoi c’était si important. C’est ce que je vais tenter de vous expliquer.

La potasse est une roche minérale, au même titre que l’or ou le nickel. Elle est d’une couleur rose très foncée, près du rouge. Cela lui a valu le surnom d’« or rose ». Ce minerai sert à de multiples usages. On en trouve dans le savon, dans les colorants chimiques, dans quelques médicaments et explosifs. Mais surtout, la majorité des engrais pour l’agriculture sont faits à base de potasse. 95% de la production mondiale de potasse est ainsi utilisée pour les fertilisants. C’est donc en grande partie grâce à la potasse que nous avons autant de nourriture disponible dans les pays développés.

L’industrie de la potasse est un de nos fleurons économiques canadiens. Notre pays compte les plus importantes réserves de potasse au monde: 75 milliards de tonnes environ. Ces gisements se trouvent essentiellement dans l’Ouest, mais aussi en plus petite quantité dans les Maritimes. Plusieurs milliers d’emplois dépendent de ce secteur. En Saskatchewan, la province qui produit le plus de potasse au pays, cela crée environ 3500 emplois directs. Je n’ai pas les chiffres pour les emplois indirects, mais compte tenu des nombreuses usines d’engrais que compte la Saskatchewan, je peux assurer sans trop me tromper qu’il s’agit d’une ressource économique majeure pour la province.

Or, voilà que Potash Corp, producteur numéro un mondial de potasse, risque de passer sous contrôle étranger. Bien que le conseil d’administration ait clairement dit à BHP que leur offre ne les intéressait pas car insuffisante, la compagnie étrangère a décidé de s’adresser directement aux actionnaires. Ceux-ci peuvent vendre chacune de leurs parts 130$ américains CASH sur le marché, jusqu’au mois d’octobre prochain. Il y a donc un risque que, si les actionnaires acceptent majoritairement de vendre leurs parts à BHP, le groupe minier australien acquiert Potash Corp en contournant le CA.

Face à cette éventualité, deux choix s’offrent à Potash Corp: ou ils laissent BHP les acheter à rabais (car l’action pourrait fort bien se vendre à plus de 160$ US), ou ils coupent l’herbe sous le pied à BHP en fusionnant avec une autre compagnie minière. Or, pour l’instant, les économistes ne voient que trois entreprises qui pourraient « sauver » Potash Corp, tous étrangères: l’anglo-australienne RioTinto (connue pour avoir racheter Alcan au Québec), la brésilienne Vale et la chinoise CIC. Ainsi, d’une manière ou d’une autre, à moins d’un miracle, Potash Corp ne restera pas canadienne.

Compte tenu des emplois dans la balance, il est inquiétant de penser qu’un tel joyau, qui rapporte des milliards de dollars, qui est un citoyen corporatif canadien et paie des impôts au gouvernement fédéral, puisse passer sous contrôle étranger. C’est que jusqu’alors, aucune acquisition de minières canadiennes par l’étranger n’a été bénéfique à long terme pour notre pays. Bien sûr, les gisements restent au pays, et donc, les mineurs n’ont pas trop à s’inquiéter. Mais l’industrie de la transformation a toujours pâtit de telles transactions. Meilleur exemple: Alcan, au Québec. Plusieurs travailleurs des régions de Valleyfield et de Shawinigan ont perdus leurs emplois lorsque RioTinto a décidé de concentrer ses usines d’aluminium au Saguenay – Lac Saint-Jean. Et il n’y a pas que les emplois manufacturiers en cause: une fusion amène nécessairement des licenciements de personnel de bureau. On se retrouve avec deux sièges sociaux, on coupe donc dans le gras. Pourquoi conserver vingt comptables quand dix suffiront à la tâche?

Les autres choix ne sont pas reluisants. Vale, lorsqu’elle a acquis Inco, en Ontario, a aussi procédé à des mises à pied massives. Quant à CIC, la chinoise, elle n’est pas réputée pour être un bon citoyen corporatif. De plus, la Chine a actuellement grand besoin de potasse pour son agriculture. Nul doute que si une entente est conclue de ce côté, cela inclura des prix de vente très bas du produit pour les Chinois. Comme ceux-ci forment, avec l’Inde et le Brésil, le premier marché mondial pour ce minerai, je vous laisse imaginer les pertes monétaires que cela entraînerait pour une compagnie qui contribue à l’économie canadienne.

Bien sûr, plusieurs diront qu’avec la pollution que cause les mines, ce serait un bon débarras. Mais puisque les mines demeureront peu importe l’acquéreur, mieux vaut que le propriétaire soit canadien, non?

Évidemment, nous sommes ici dans la spéculation. Reste que la situation est préoccupante. Avec ce mouvement transnational de fusion d’entreprises, que va-t-il rester au Canada si les seuls emplois qui demeurent au pays sont celles de fournisseurs de matières premières? Nous avons beau être riches comparés à d’autres pays, il faut penser à l’avenir. Je doute que quiconque souhaite que dans une centaine d’année, notre économie ressemble à celle du tiers-monde. Car quand on ne fait qu’envoyer des ressources « brutes » dans les autres pays, on perd le contrôle sur les prix décidés à la bourse, et du coup, sur nos conditions de travail.

samedi 14 août 2010

L’AGRICULTURE EN PÉRIL?



Dans le cadre du travail, je suis parti deux jours, mercredi et jeudi, sur la route. Objectif: faire un reportage sur l’agriculture dans le sud-ouest de la province. Je me rends donc à Ponteix, un petit village encore très francophone, à trois heures de Regina. C’est une région très aride, sèche, où le relief vallonné donne des paysages à couper le souffle. L’herbe ici n’est pas verte: c’est jaune, tirant sur le vert très pâle. La terre est rougeaude, entre le brun et l’ocre. Cela ressemble un peu à l’Arizona. Cette terre, sans eau, deviendrait un nouveau désert du Nevada.

À Ponteix, la situation des agriculteurs n’est pas rose. Depuis dix ans, le prix du blé a chuté drastiquement, menaçant les fermes familiales traditionnelles. Il a fallu diversifier. Mais avec le climat plus sec dans cette région qu’ailleurs dans la province, peu de choix s’offre aux cultivateurs. Le canola ne pousse pas bien, il manque d’eau pour le lin. Résultat: la diversification n’est pas aussi payante ici qu’ailleurs.

C’est dans les légumineuses et l’élevage bovin que la majorité des fermiers de Ponteix se sont recyclés. Des pois et des lentilles sont cultivés ici en abondance, car ils ont moins besoin d’eau que d’autres plantes. Les enclos de bœufs et de bisons abondent. Mais depuis la crise de la vache folle, le prix de la viande n’est plus ce qu’il était. Et s’il manque d’eau, le foin vient à manquer.

Cette année, la région de Ponteix a eu de la chance. Après six ans de sécheresse, il y a eu cette année, jusqu’à présent, juste assez d’eau. Comme disait Robert Blanchard, un fermier de 86 ans qui a vécu toute sa vie à Ponteix: « Quand il y a un pied d’eau à Regina, il y en a un pouce à Ponteix. Fait que quand toute la Saskatchewan est inondée, nous autres, ça va bien. »

Toutefois, cette chance qui leur sourit n’est pas coutume. Et les agriculteurs le savent mieux que quiconque. Le village de Ponteix est, pour ainsi dire, à vendre. La plupart des commerces ne sont pas très prospères, apportant à leurs propriétaires juste de quoi vivre. Le manque de relève est criant: la moyenne d’âge du village et ses environs doit être de 50 ans.

C’est que les jeunes quittent pour la ville, afin d’obtenir un emploi plus stable. Le plus gros problème en agriculture, c’est qu’on ne peut jamais prévoir les conditions météo. Résultat: on n’a aucune idée si la récolte sera bonne ou mauvaise. On dépend complètement de la température. La baisse des prix, conjuguée à des conditions météo qui ne sont pas bonnes, fait donc des ravages à Ponteix, qui a perdu le quart de sa population, essentiellement des moins de 30 ans, depuis dix ans. Pour un cultivateur qui voit sa terre reprise par un de ses enfants, il y en a deux qui se retrouvent sans relève. Il en résulte un important vieillissement de la population, qui augure bien mal pour l’avenir.

Cette année, à Ponteix, la récolte sera bonne. Mais combien de temps pourra-t-on vivre sur ces économies d’ici la prochaine sécheresse? Et qu’arrivera-t-il lorsqu’il n’y aura plus de jeunes? Ce sont ces questions-là que se posent tous les agriculteurs que j’ai interrogé dans le cadre de mon reportage.

En plus du climat sec, Ponteix a un autre problème. Les chiens de prairies, appelés ici « gophers » ou « gauffres » par les vieux francophones, se multiplient depuis quinze ans. Ce sont des espèces d’écureuils, mais qui vivent dans des terriers. Ils dévorent la récolte, et font tellement de trous qu’ils ravagent le sol. Résultat: plusieurs fermiers brisent leur équipement agricole en butant dans ces trous, et réparer de telles machines est dispendieux. Une autre menace pour leurs revenus.


Les gens de Ponteix ont toutefois réussis à tirer profit de ces envahisseurs. Depuis quelques années, la chasse aux gophers est ouverte. Des gens des villes, des autres provinces et même des États-Unis viennent à Ponteix pour tirer sur les chiens de prairies. Ils sont facilement capables, en une heure, de tuer mille gophers. Oui, vous avez bien lu: mille! C’est que chaque gopher fait de six à huit petits par portée, et que les périodes de sécheresse sont idéales pour leur reproduction. Depuis six ans, donc, combien pensez-vous de chiens de prairies ont vus le jour? N’essayez pas de trouver le chiffre, ça vous donnerait le tournis.

Cette chasse aux gophers permet de faire rouler l’économie de Ponteix. De mai à juillet, quand les petits sortent de leurs trous, des touristes viennent manger dans les restaurants et dormir à l’auberge locale. Un revenu très bienvenu pour ces commerçants. Quant aux fermiers, ils accueillent bien sûr les chasseurs à bras ouverts. Ils dépensent en moyenne 20 000$ par année en poison pour gophers, mais cela ne tue environ que 50% des petits rongeurs. Alors, si ceux qui ont survécus peuvent recevoir une balle dans la nuque, ce n’est pas pour déplaire aux cultivateurs.

Bien sûr, cette industrie de la chasse aux gophers est encore embryonnaire, et cela ne fait pas vivre le village. L’agriculture reste encore l’activité économique numéro un de la région. Mais qui sait si, à la longue, là n’est pas le salut pour ces fermiers menacés par la faillite?

lundi 2 août 2010

L’ANNÉE DES CENTENAIRES


Navré de cette LONGUE pause, chers lecteurs. L’arrivée des vacances m’a fait faire récemment bien du temps supplémentaire. Mais bon, je promets que vous en aurez pour votre argent.

Aujourd’hui, je vais vous parler de deux – que dis-je, trois – grands événements qui ont marqués l’été 2010 pour les Fransaskois, mon public cible ici en Saskatchewan. Pas moins de trois villages, très francophones quand ils ne le sont pas entièrement, fêtaient cet été leurs cent ans d’existence. Ce fut d’abord Saint-Denis, le 24 juillet dernier, puis Ferland, vendredi dernier, et enfin Zenon Park, les 31 juillet et 1er août.

Je n’ai hélas pu aller à Saint-Denis (les voitures à louer étaient toutes prises), ni à Ferland (je travaillais vendredi, je serais arrivé là-bas alors que ça aurait été fini). Par contre, j’ai pu obtenir un VUS (véhicule utilitaire sport) pour aller à Zenon Park.

Zenon Park est l’un des endroits le plus au nord de la province où demeurent des Fransaskois. C’est à la hauteur de Prince Albert, à cinq heures de route de Regina si on respecte les limites de vitesse. Étant un peu délinquant, je m’y suis rendu en quatre. Ok, faux. En cinq. Mais c’est que je me suis perdu. Laissez-moi vous expliquer.

Il y a deux routes pour se rendre à Zenon Park. D’une manière ou d’une autre, il faut prendre la route 6, qui traverse la province de Regina à Prince Albert. Rendu à Melfort, une assez grosse ville sur l’axe routier (de la grosseur de Saint-Jérôme, peut-être un peu plus), il faut prendre la route 3. C’est là que les cartes se brouillent.

La grosse ville, sur la route 3, est Tisdale. C’est un axe routier fort important. De Tisdale, il y a deux routes pour se rendre à Zenon Park. La plus simple est de prendre la 35 nord, qui devient ensuite la 335, et se rend directement à Zenon Park. La seconde option est de prendre la route 23, puis de prendre la 748 pour se rendre au village de Zenon Park.

J’ai personnellement choisi la deuxième option. Elle semblait plus directe. L’affaire est que, lorsqu’on prend la 35 puis la 335, il y a un détour à prendre. Ce n’est pas le cas avec la 23 puis la 748. Désireux de gagner du temps, je choisis donc celle-ci. Or, le problème, c’est qu’une fois sur la 748, il n’y a plus rien d’indiquer. Des dizaines de petites routes en gravier et en terre battue la rejoignent, et elles sont très longues, si bien que s’y égarer est très facile. J’ai donc erré une bonne demi-heure sur la 748 et ses routes connexes. J’ai finalement abouti dans une foire agricole. Croyant que ça devait être pour le centenaire de Zenon Park (je me croyais sur le territoire de la paroisse), je m’y arrête, visite, prend des photos, achète une bouteille d’eau. Or, personne ne parlait français, si bien que j’en suis venu à me demander si j’étais bien à la bonne place. Après 15 bonnes minutes, je me décide à partir. Au moment où je quitte, j’aperçois une pancarte: Agricultural Society of Connaught: Annual Fair. J’étais à la foire agricole du comté.

J’erre donc à nouveau sur les routes pendant 10 bonnes minutes. Puis, je croise un panneau annonçant: Ferme des Poulin, Lucien & Nicole. Des francophones! Je prend aussitôt la petite entrée à côté du panneau et me retrouve sur une ferme. Un camion s’y trouve: Dieu merci, il y a des gens! C’est Mme Poulin qui me répond, et accepte de me guider au village de Zenon Park, à cinq minutes de là, au nord-ouest. Je lui en suis d’ailleurs très reconnaissant.

J’arrive donc à Zenon Park vers seize heures, le samedi. J’ai hélas manqué la parade, qui avait lieu à midi. J’ai toutefois pu assisté à d’autres célébrations, dont un spectacle le samedi soir. Cinq artistes fransaskois sont venus nous chanter – et en français! – leurs compositions. Si l’influence country s’y sentait souvent, on trouvait aussi un peu de pop et de rock. J’ai particulièrement aimé la prestation de Véronique Poulin, une jeune chanteuse d’environ 25 ans, et la fille de la Mme Poulin qui m’a guidé. Véronique a charmé son auditoire par ses chansons d’amour. Cela a profondément ému les gens, qui même, un court temps après la fin d’une ballade, ont oubliés d’applaudir. C’est revenu bien vite, mais plusieurs pleuraient encore.

Ma grande déception a été de manquer le Silo à souvenirs. Pour que vous le sachiez, le Moulin à images de Robert Lepage, à Québec en 2008, a inspiré les Fransaskois. Ils ont décidés de reprendre le concept et de diffuser des images d’antan sur la façade de l’énorme silo au cœur du village de Zenon Park, dont vous pouvez voir la photo. Hélas pour moi, à la fin du spectacle, un violent orage, qu’on sentait venir depuis un moment, a éclaté. Nous nous sommes tous réfugiés dans nos véhicules ou, pour ceux qui campaient, leur véhicule récréatif (surtout des fifth-wheels, et quelques motorisés). Mais la pluie est tombée longtemps, si bien que le Silo à souvenirs a été annulé. Il aurait toujours lieu le lendemain. Or, moi, le lendemain soir, je devais être de retour à Regina. Je n’aurai donc jamais la chance de le voir. Dommage…j’essaierai de trouver quelqu’un avec des photos!

Le lendemain matin, je suis donc parti pour rentrer à Regina. Il n’y avait aucune activité au programme avant l’après-midi, et moi, je devais partir au plus tard à midi de Zenon Park. J’ai donc pris la route à dix heures trente, pour arriver pour quatorze heures trente à Regina. Cette fois-ci, ais-je besoin de préciser que j’ai choisi la route qui faisait un détour, mais sur laquelle on ne pouvait pas se perdre?

Ce fut un beau moment, tout de même, que cette escapade à Zenon Park. Si j’aurais aimé vivre davantage les célébrations, il n’en reste pas moins que le temps que j’y étais, j’ai vraiment eu l’impression de vivre un grand moment pour la Fransaskoisie. C’était effectivement digne d’être fêté. Imaginez: pendant cent ans, quelques familles francophones, loin de tout, qui parviennent à conserver leur langue et leur culture quand dans leur propre village, ils ont longtemps été minoritaires! C’est admirable. D’ailleurs, l’avenir semble plus rose. C’est maintenant 50-50 dans le village, et si les jeunes quittent pour la ville, comme partout en Saskatchewan, il n’en demeure pas moins que Zenon Park est l’une des rares municipalités rurales qui, depuis 25 ans, est totalement bilingue. C’est une figure d’exception en Saskatchewan, même dans le cas d’autres villages où on trouve une forte proportion de francophones. Longue vie au fait français à Zenon Park!

Pour ceux que la culture fransaskoise intéresse: http://www.myspace.com/veroniquepoulin

jeudi 22 juillet 2010

BATOCHE, PARTIE 2: Sur les traces de Louis Riel



Batoche. Là où s’est joué le destin de la nation métisse, de l’Ouest canadien et même, oui, du Canada tout entier.

Batoche, c’est un petit village qui a été fondé vers les années 1840. Des Métis s’y sont installés car c’était un lieu stratégique sur la piste Carlton, qui allait de Winnipeg à Edmonton et qui était le chemin emprunté par les coureurs des bois à l’époque. C’est un dénommé Letendre, dit Batoche, qui a décidé d’exploiter le site. Comme c’était un point névralgique sur la rive est de la rivière Saskatchewan Sud, et qu’il fallait traverser cette rivière pour se rendre à Edmonton, Batoche a eu l’idée de s’y installer pour s’exercer au « frétage », l’ancêtre du traversier. En payant un droit de passage, on pouvait utiliser le bac, un petit bateau assez plat, pour traverser sur la rive ouest de la rivière. Le « frétage » a rapidement rendu Batoche prospère, et plusieurs Métis l’ont imités. Mais l’installation n’est devenue permanente que dans les années 1860.

Le village de Batoche était donc, dans les années 1870-80, la « capitale » en quelque sorte des Métis. On y trouvait plusieurs fermes, des magasins, un « relais » (un genre de saloon, mais où on vendait en plus des marchandises), une église…C’était un village en pleine expansion, un des endroits incontournables dans l’Ouest canadien.

Hélas, au début des années 1880, des tensions importantes naissent dans l’Ouest. Le gouvernement canadien, craignant l’expansionnisme américain, faisait venir des immigrants de partout en Europe pour peupler les Territoires du Nord-Ouest (qui regroupaient aussi à l’époque une grande partie du Manitoba, la Saskatchewan, l’Alberta et le Yukon). Mais la division des terres se faisait en cantons (des terres très vastes et carrées), et non en seigneuries (bandes étroites et longues, donnant accès à un cours d’eau), comme l’avaient pratiqué les Métis. Ce qui fait que des immigrants volaient les terres des Métis, qui n’avaient pas de titres de propriété. De plus, Ottawa refusait aux Métis, surtout francophones et catholiques, les mêmes droits que les Canadiens français. Pour conclure, le monopole sur les fourrures revenait alors à la Compagnie de la Baie d’Hudson, qui obligeait les Métis à leur vendre à bas prix.

On comprend qu’avec tous ces facteurs combinés, les Métis en ont eu marre. Aussi, en mars 1885, décident-ils de se déclarer indépendants. Ils obtiennent l’appui des autochtones, qui ont été trahis par le fédéral: Ottawa ne respecte pas les promesses qu’il leur a fait des années plus tôt. Le chef métis de Batoche, Gabriel Dumont, décide de traverser au Montana pour aller chercher Louis Riel, en exil là-bas depuis la Rébellion de la Rivière Rouge. Il espère que Riel, en tant que chef de leur gouvernement provisoire, saura faire plier le fédéral, comme dans le cas du Manitoba en 1870.

Les Métis réclament donc:

a) la reconnaissance de leurs droits de propriété;
b) le droit à un gouvernement provincial;
c) le respect des promesses faites aux autochtones et aux Métis;
d) la fin du monopole de la Compagnie de la Baie d’Hudson sur la traite des fourrures.

Le gouvernement fédéral ne fait pas dans la dentelle. Désireux de ne pas laisser les choses traînées comme au Manitoba 15 ans plus tôt, il recrute sur-le-champ une milice (qui deviendra l’armée canadienne peu après) et charge la GRC de mater la révolte le plus tôt possible. Plusieurs escarmouches et batailles ont lieu durant le printemps 1885 entre la GRC et les Métis et autochtones, mais aucun affrontement n’est décisif.

En avril, la milice est déjà à Regina, grâce au chemin de fer, et recrute dans la région parmi les nouveaux arrivants. Au début du mois de mai, elle est maintenant forte de 800 membres. Elle part vers le nord, rejoindre la GRC. Personne n’est dupe: c’est à Batoche que le destin des Territoires du Nord-Ouest va se jouer.

Le 9 mai, la milice et la GRC, sous les ordres du général Middleton, parviennent à Batoche. Ils sont attendus de pied ferme par les Métis, qui ont créé un système de défense du village. La bataille commence, Middleton lance un assaut, mais il est incapable de prendre la crête de la mission, une colline entre le village et la rivière Saskatchewan Sud, d’où on peut tout voir ce qui se passe à des kilomètres à la ronde. La nuit tombe donc, et les Canadiens battent en retraite. Les Métis ont résistés admirablement.

Mais Middleton ne s’avoue pas vaincu. Le lendemain, 10 mai, il installe ses canons au sud du village, dans un camp appelé « zareba ». Il commence à pilonner Batoche. Ce n’est plus qu’une bataille, c’est un siège. Les canons surprennent les Métis, qui eux se sont préparés à combattre au fusil. Le 11 mai, la canonnade se poursuit, mais Middleton tente une reconnaissance du terrain. Il remarque alors que plusieurs Métis abandonnent leurs positions pour le suivre. Cela affaiblit leurs forces, qui se dispersent. Middleton tente donc une attaque de diversion, au nord de Batoche, par la rivière Saskatchewan Sud. Les Métis tombent dans le panneau et combattent sur la rive. Sachant maintenant comment prendre le village, Middleton replie ses troupes dans la zareba.

Le 12 mai, l’assaut final est déclenché. Middleton lance simultanément deux attaques, une de diversion, au nord de Batoche, et l’autre au sud, et fait bouger ses troupes rapidement. Les Métis sont débordés, leurs lignes enfoncées. Les Canadiens pénètrent dans Batoche et prennent le lieu stratégique de la crête de la mission. Comprenant que tout est perdu, Dumont et Riel ordonnent aux combattants de fuir. La Rébellion du Nord-Ouest a été un échec.

Cette défaite métisse aura un impact durable sur l’Ouest canadien. Le Canada est vainqueur sur toute la ligne: toutes les terres des Territoires du Nord-Ouest sont divisées en cantons, les droits des Métis bafoués sous prétexte de maintenir l’ordre, la question du gouvernement provincial renvoyée aux calendes grecques et la Compagnie de la Baie d’Hudson conserve son monopole. Mince consolation: les autochtones, parqués dans des réserves, reçoivent la nourriture promise par le fédéral depuis 10 ans.

La Rébellion du Nord-Ouest a aussi ruiné Batoche. Il est décidé après les événements que le chemin de fer transcanadien passera plus au sud, ce qui met fin à la position de carrefour de Batoche. En quelques années, le « frétage » tombe en désuétude, et la prospérité de la capitale métisse est chose du passé. En 1900, la misère est devenue le quotidien des Métis. Le site de Batoche est complètement abandonné en 1920, après une épidémie qui décime la population restante. Le village ne renaîtra de ses cendres que des décennies plus tard, et plus au nord. D’ici là, un parc national aura été fondé sur le site de l’ancien Batoche, déclaré lieu historique par Patrimoine Canada.

On trouve encore, dans le parc national, l’église et le cimetière de l’époque: les Métis les utilisent toujours. On trouve aussi les ruines de la zareba et les fondations de plusieurs maisons et magasins importants du Batoche de 1885. Les bâtiments d’une ferme, qui appartenait au métis Caron, sont toujours debout, et on peut les visiter. Enfin, on trouve encore un trou de tirailleur, utilisé dans le système de défense lors de la rébellion. Mais surtout, on sent quand on visite ce site encore très boisé tout le poids du passé qui nous écrase. Les paysages et la vue depuis la crête de la mission sont incroyables.

C’est un détour qui vaut la peine pour quiconque visite la Saskatchewan. Ça nous fait réaliser que le Canada ne s’est pas bâti dans la tranquillité à l’ouest de l’Ontario.

lundi 19 juillet 2010

BATOCHE, PARTIE 1: Sur la route



Je tiens à m’excuser auprès de mes fervents lecteurs pour le silence de la dernière semaine. À tous ceux qui croient encore que la Saskatchewan est ennuyante, sachez que je n’ai pas arrêté de la semaine. Nouvelle école par-ci, procès par-là, je n’ai pas eu une seconde pour souffler. En plus, mon mentor, Olivier Bachand, est en vacances. Me voilà donc tout seul comme un grand, à couvrir les grosses histoires. Je remercie d’ailleurs Marjolaine Perron, qui cette semaine m’a été d’un grand secours.

Alors, lorsque la fin de semaine est arrivée, j’ai bien décidé de profiter de mon séjour en Saskatchewan pour – ENFIN! – sortir de Regina et visiter la province. Premier arrêt: le parc national de Batoche, à 4 heures de route au nord de la capitale.

Batoche est un tout petit village, au bord de la rivière Saskatchewan Sud (qui, malgré ce que son nom laisse croire, passe dans le centre de la province). Ses habitants sont des Métis, les descendants de Louis Riel et Gabriel Dumont.

Il existe plusieurs routes pour se rendre à Batoche, mais la plus belle, quoique longue, est la route 11. Pour ceux qui ne sont pas familiers avec les routes saskatchewanaises, c’est un peu comme la 117 lorsqu’elle coupe à travers champs à Saint-Janvier, mais avec une limite de vitesse de 110 km/h. Cette route serpente entre les champs et les vallons, de la frontière américaine à Prince Albert, à 5 heures de route au nord de Regina. Durant près de 4 heures, c’est elle que j’ai suivie, à bord d’une petite Camry grise louée à l’aéroport de Regina.

Les paysages, entre Regina et Rosthern, sont à couper le souffle. Des champs, bien sûr, si longs et larges qu’on n’en voit pas la fin. Des champs de canola, faisant une tache jaune sur des kilomètres, des fourrages, où les vaches vont paître, des champs inondés, où des étangs s’étendent entre les piquets de bois, parfois calmes, parfois agités, selon le vent. Mais pas que des champs. Des vallons, verts comme sur une carte postale de l’Irlande, tout découpés le long de la route, et si hauts qu’à cinq mètres d’eux, on se croirait face à une montagne illuminée par le soleil à son sommet. Des buttes, d’une couleur ocre, ni brune ni rouge, sur le flanc de petites collinettes, avec une vague ressemblance aux paysages de l’Île du Prince Édouard, mais avec du vert toujours non loin. Une rivière, visible de loin, sur la hauteur de la route, s’écoulant paresseusement sur des kilomètres le long du « highway », avant de s’éloigner d’un coude brusque vers l’est, avec une vallée de l’autre côté, verte comme la Comté dans le film Le Seigneur des anneaux, dressant son flanc pour époustoufler l’automobiliste rêveur. À quiconque imaginait la Saskatchewan comme une plaine dorée à perte de vue, révisez votre position.

On fait également de drôles de rencontres sur la route 11. Des camions de rancher, transportant des chevaux, des plaisanciers avec des bateaux, des dix roues avec des rondins de bois gigantesques, chaque billot, le tiers d’un peuplier mature. De curieuses marchandises, aussi: des remorques traînant, fixés sur le towing, des tanks militaires, se rendant Dieu sait où au nord de Regina. Également, de petites bêtes écrasées sur le long de la route, comme au Québec. Mais « petites » est relatif. J’ai croisé des ratons laveurs énormes, et une fois, la dépouille d’un malheureux faon, éventré par quelque vilain camion. Navré pour les amateurs de Bambi.

Après tout ce spectacle bucolique, on arrive à Saskatoon, la ville aux ponts, la grande cité du centre de la province, le Montréal de la Saskatchewan. 220 000 habitants seulement, mais quelle vitalité! Quel spectacle! Des gratte-ciels, des usines, des annonces publicitaires géantes à néons, un théâtre de trois étages de haut. Qu’une petite halte pour remplir le réservoir à essence maintenant à moitié, mais quelle ambiance incroyable!

Retour sur la route 11. Direction: Prince Albert. À nouveau des champs de chaque côté. On remarque un changement de végétation. Au sud de Saskatoon, des prairies aux herbes folles, quelques feuillus éparpillés par-ci par-là, des buissons touffus. Mais au nord de la ville, la forêt reprend peu à peu ses droits. Les buissons prennent de plus en plus de place, les feuillus se mêlent aux conifères, puis disparaissent bien vite, cédant la place aux majestueux pins, sapins et épinettes. Nous voilà à la hauteur du Saguenay. Peut-être même un peu plus haut. Le paysage familier du Bouclier canadien, quoique si différent du Québec, ressort doucement, même si les champs sont toujours rois et que le sol est organisé pour rapporter des cultures. Plus de canola ici. Une culture que je ne connais pas: un arbuste bas, vert, feuillu. Un peu comme un chou, mais plus haut, et avec des feuilles moins larges et luxuriantes. Et surtout, des pâturages: nous sommes en terre d’élevage. Légère nostalgie: ça rappelle Sainte-Anne-des-Plaines, mais avec des panneaux en anglais.

Soudain, un espace à découvert, des champs plus bruns: la terre est visible, sans doute ces plantes cultivées commencent à peine leur croissance. Coup d’œil à l’horloge de la voiture: voilà 3 heures et demie que nous avons quitté Regina. Une pancarte: Rosthern, 1 km. Deux mètres plus loin, un panneau brun, touristique: Batoche, Canada Parks, road 312 East. Next on your right.

La sortie vient très vite. Sortie est un grand mot: c’est une route en gravier qui apparaît, large, entre deux champs, et qui se rétrécit très vite. Une seule voiture passe maintenant dans chacun des deux sens de la circulation. Une pancarte nous prévient que les folies de vitesse, c’est fini: 80 km/h et des courbes. Bienvenue sur la route secondaire 312.

15 minutes sur la 312. Des champs de chaque côté, avec des herbes folles. Sûrement du fourrage pour le bétail. Quand les champs s’arrêtent, de petites allées de gravats s’en vont en direction nord-sud. Entrées privées des fermiers locaux. On continue vers l’est. Des pancartes, disposées environ à chaque 3 km, nous disent de ne pas nous décourager: Batoche est de plus en plus près. Enfin, un signe encourageant: road 221 North. Batoche 9 km.

On tourne à gauche sur la 221, direction nord. Que des façades de maisons et de bâtiments agricoles des deux côtés de la rue, entrecoupées de herbes hautes. De magnifiques chevaux de trait, au poitrail massif et aux pattes larges, qui broutent paisiblement, en vue. Sur les boîtes postales plantées au bout de piquets, à côté de chaque entrée, des noms familiers: Caron, Belanger, Boyer. Nous voilà sur les terres des Métis. Le périple tire à sa fin.

Un fonctionnaire en bottes, avec un gilet orange, nous envoie la main, et nous fait signe de suivre la route, qui tourne brusquement à droite. Le tournant traversé, on revient sur la gauche pour apercevoir, entre les arbres et les herbes hautes, qui sentent le foin, dans le soleil du début de l’après-midi, un bâtiment blanc: Administration. On le contourne, et on prend un autre tournant à droite. Une entrée ouverte et un immense panneau, digne du camping Lausanne. Enfin, la pancarte tant attendue: Batoche Historical Park. Welcome/ Lieu historique de Batoche. Bienvenue.

dimanche 11 juillet 2010

QUAND LA MALCHANCE S’ACHARNE…

Après la pluie, le beau temps, dit un dicton populaire. Hélas, en ce qui concerne les fermiers de la Saskatchewan, il faudrait plutôt dire: « Après la pluie, la perte de revenus. » Selon les plus récents chiffres, environ 30% des terres agricoles de la Saskatchewan sont inondées. Cela signifie que sur tous les champs de la province, près du tiers risque de ne rien produire cette année. Quand on vit de ses cultures, je vous laisse imaginer le désastre au niveau financier.

S’il est vrai que ce qui est majoritairement cultivé dans la province est le blé, l’avoine et l’orge, vous devez savoir que depuis les années 1960, les agriculteurs s’efforcent de diversifier leurs cultures. Ainsi, par exemple, si un été, une maladie frappe le blé, ils sont moins perdants s’ils disposent d’autres produits, intacts, qui peuvent être vendus. De plus, les cultures sont maintenant cotées en bourse, et c’est le marché qui fixe le prix de la tonne d’une céréale quelconque. Donc, si une année il y a surabondance d’orge, le prix de la tonne baissera. Par contre, si le cultivateur saskatchewanais a aussi cultivé du lin, et qu’ailleurs dans le monde ça n’a pas été une bonne année pour cette plante, il peut compenser ses pertes sur l’orge en vendant plus cher que d’habitude sa tonne de lin.

Mais voilà que maintenant, ce système risque de ne pas fonctionner cette année pour les agriculteurs de la province. En Saskatchewan, une des cultures les plus sûres, c’est la graine de canari. Il s’agit d’une plante dont les grains servent à nourrir la grande majorité des oiseaux exotiques, surtout en Amérique latine. Depuis les années 1970, plusieurs cultivateurs s’y sont mis, si bien qu’à l’heure actuelle, le Canada est le principal producteur mondial de graines de canari. Et la province canadienne qui en produit le plus, c’est la Saskatchewan: 90% des graines canadiennes sont cultivées ici, ce type de culture occupe maintenant plus de 400 000 acres: c’est 1% de toutes les terres cultivées de la province.

La graine de canari a longtemps été réputée comme une valeur sûre, car sa valeur bouge peu, comparé aux autres cultures, sur le marché. Mais cette année, hélas, ça va changer. Du fait que partout dans le monde, c’est jusqu’à présent une très bonne année pour les cultures, le Mexique, importateur numéro un mondial de graines de canari, a décidé de tenter de faire baisser les prix. Il a trouvé pour cela une excellente tactique: empêcher la graine de canari canadienne d’entrer sur son sol.

Le prétexte vient du fait qu’une autre plante se mélange beaucoup dans les champs à la graine de canari: le sarrasin sauvage. Officiellement, le Mexique ne veut pas de sarrasin sauvage sur son sol, car cela met en péril la biodiversité de son propre sarrasin s’il y a contamination. Cependant, on n’avait jamais jusqu’à présent consacré de réels efforts à empêcher le sarrasin sauvage d’entrer au pays. Cette année, toutefois, ça a changé: le gouvernement mexicain a informé l’Agence canadienne d’inspection des aliments que toute cargaison de graines de canari contenant UN SEUL grain de sarrasin sauvage serait instamment retourné au Canada. Or, aux dires de la Commission pour le développement de la graine de canari en Saskatchewan, c’est impossible de passer au peigne fin toutes les cultures ainsi. Pour 100 g de graines de canari, on trouve facilement jusqu’à une douzaine de grains de sarrasin sauvage. Imaginez donc le travail pour les trouver dans une tonne! C’est pourquoi, on s’attend maintenant à ce que le Mexique interdise purement et simplement la graine de canari canadienne. La seule façon de les faire reculer, aux dires de Sylvain Charlebois, un économiste que j’ai interviewé, serait d’abaisser considérablement le prix de la tonne.

C’est donc une nouvelle tuile qui s’abat sur la tête des cultivateurs. Après toutes les inondations vécues cette année, plusieurs comptaient sur la graine de canari pour s’assurer un revenu décent. Hélas, si le prix doit baisser autant qu’on le croit, ils devront vendre à perte. Ce serait un vrai désastre pour ces agriculteurs, qui pour la plupart ont des hypothèques à payer et doivent vivre à crédit jusqu’à l’été prochain. L’assurance provinciale sur les récoltes et les fonds débloqués récemment par le fédéral les aideront assurément, mais sans vente à prix élevé de graines de canari, les fermiers d’ici vivront bien chichement.

C’est ici qu’on réalise à quel point la spéculation sur les produits alimentaires est dévastatrice. Déjà, en 2007, avec la crise alimentaire mondiale, on avait pu remarqué ce non sens. Plusieurs économistes avaient fortement demandé à ce qu’on retire les produits alimentaires des marchés, trouvant dangereux de jouer à la bourse la vie de millions d’individus. La nourriture, ce n’est pas comme les actions d’une banque, c’est une nécessité vitale. La flambée des prix fait nécessairement des victimes dans les pays en voie de développement. On voit maintenant aujourd’hui, avec le cas de la Saskatchewan, que revoir des prix trop à la baisse est tout aussi dommageable: encore là, c’est avec la vie de fermiers qu’on joue. Déjà malchanceux cette année pour toutes les autres cultures, si les agriculteurs de la Saskatchewan perdent au change sur la graine de canari, c’est la pauvreté et peut-être même la faillite qui attendent plusieurs d’entre eux. Nul ne sait si le Mexique s’entêtera, mais une chose est sûre: avec tous les malheurs qu’elle a vécut cette année, la Saskatchewan n’a vraiment pas besoin d’avoir le marché contre elle.