jeudi 22 juillet 2010

BATOCHE, PARTIE 2: Sur les traces de Louis Riel



Batoche. Là où s’est joué le destin de la nation métisse, de l’Ouest canadien et même, oui, du Canada tout entier.

Batoche, c’est un petit village qui a été fondé vers les années 1840. Des Métis s’y sont installés car c’était un lieu stratégique sur la piste Carlton, qui allait de Winnipeg à Edmonton et qui était le chemin emprunté par les coureurs des bois à l’époque. C’est un dénommé Letendre, dit Batoche, qui a décidé d’exploiter le site. Comme c’était un point névralgique sur la rive est de la rivière Saskatchewan Sud, et qu’il fallait traverser cette rivière pour se rendre à Edmonton, Batoche a eu l’idée de s’y installer pour s’exercer au « frétage », l’ancêtre du traversier. En payant un droit de passage, on pouvait utiliser le bac, un petit bateau assez plat, pour traverser sur la rive ouest de la rivière. Le « frétage » a rapidement rendu Batoche prospère, et plusieurs Métis l’ont imités. Mais l’installation n’est devenue permanente que dans les années 1860.

Le village de Batoche était donc, dans les années 1870-80, la « capitale » en quelque sorte des Métis. On y trouvait plusieurs fermes, des magasins, un « relais » (un genre de saloon, mais où on vendait en plus des marchandises), une église…C’était un village en pleine expansion, un des endroits incontournables dans l’Ouest canadien.

Hélas, au début des années 1880, des tensions importantes naissent dans l’Ouest. Le gouvernement canadien, craignant l’expansionnisme américain, faisait venir des immigrants de partout en Europe pour peupler les Territoires du Nord-Ouest (qui regroupaient aussi à l’époque une grande partie du Manitoba, la Saskatchewan, l’Alberta et le Yukon). Mais la division des terres se faisait en cantons (des terres très vastes et carrées), et non en seigneuries (bandes étroites et longues, donnant accès à un cours d’eau), comme l’avaient pratiqué les Métis. Ce qui fait que des immigrants volaient les terres des Métis, qui n’avaient pas de titres de propriété. De plus, Ottawa refusait aux Métis, surtout francophones et catholiques, les mêmes droits que les Canadiens français. Pour conclure, le monopole sur les fourrures revenait alors à la Compagnie de la Baie d’Hudson, qui obligeait les Métis à leur vendre à bas prix.

On comprend qu’avec tous ces facteurs combinés, les Métis en ont eu marre. Aussi, en mars 1885, décident-ils de se déclarer indépendants. Ils obtiennent l’appui des autochtones, qui ont été trahis par le fédéral: Ottawa ne respecte pas les promesses qu’il leur a fait des années plus tôt. Le chef métis de Batoche, Gabriel Dumont, décide de traverser au Montana pour aller chercher Louis Riel, en exil là-bas depuis la Rébellion de la Rivière Rouge. Il espère que Riel, en tant que chef de leur gouvernement provisoire, saura faire plier le fédéral, comme dans le cas du Manitoba en 1870.

Les Métis réclament donc:

a) la reconnaissance de leurs droits de propriété;
b) le droit à un gouvernement provincial;
c) le respect des promesses faites aux autochtones et aux Métis;
d) la fin du monopole de la Compagnie de la Baie d’Hudson sur la traite des fourrures.

Le gouvernement fédéral ne fait pas dans la dentelle. Désireux de ne pas laisser les choses traînées comme au Manitoba 15 ans plus tôt, il recrute sur-le-champ une milice (qui deviendra l’armée canadienne peu après) et charge la GRC de mater la révolte le plus tôt possible. Plusieurs escarmouches et batailles ont lieu durant le printemps 1885 entre la GRC et les Métis et autochtones, mais aucun affrontement n’est décisif.

En avril, la milice est déjà à Regina, grâce au chemin de fer, et recrute dans la région parmi les nouveaux arrivants. Au début du mois de mai, elle est maintenant forte de 800 membres. Elle part vers le nord, rejoindre la GRC. Personne n’est dupe: c’est à Batoche que le destin des Territoires du Nord-Ouest va se jouer.

Le 9 mai, la milice et la GRC, sous les ordres du général Middleton, parviennent à Batoche. Ils sont attendus de pied ferme par les Métis, qui ont créé un système de défense du village. La bataille commence, Middleton lance un assaut, mais il est incapable de prendre la crête de la mission, une colline entre le village et la rivière Saskatchewan Sud, d’où on peut tout voir ce qui se passe à des kilomètres à la ronde. La nuit tombe donc, et les Canadiens battent en retraite. Les Métis ont résistés admirablement.

Mais Middleton ne s’avoue pas vaincu. Le lendemain, 10 mai, il installe ses canons au sud du village, dans un camp appelé « zareba ». Il commence à pilonner Batoche. Ce n’est plus qu’une bataille, c’est un siège. Les canons surprennent les Métis, qui eux se sont préparés à combattre au fusil. Le 11 mai, la canonnade se poursuit, mais Middleton tente une reconnaissance du terrain. Il remarque alors que plusieurs Métis abandonnent leurs positions pour le suivre. Cela affaiblit leurs forces, qui se dispersent. Middleton tente donc une attaque de diversion, au nord de Batoche, par la rivière Saskatchewan Sud. Les Métis tombent dans le panneau et combattent sur la rive. Sachant maintenant comment prendre le village, Middleton replie ses troupes dans la zareba.

Le 12 mai, l’assaut final est déclenché. Middleton lance simultanément deux attaques, une de diversion, au nord de Batoche, et l’autre au sud, et fait bouger ses troupes rapidement. Les Métis sont débordés, leurs lignes enfoncées. Les Canadiens pénètrent dans Batoche et prennent le lieu stratégique de la crête de la mission. Comprenant que tout est perdu, Dumont et Riel ordonnent aux combattants de fuir. La Rébellion du Nord-Ouest a été un échec.

Cette défaite métisse aura un impact durable sur l’Ouest canadien. Le Canada est vainqueur sur toute la ligne: toutes les terres des Territoires du Nord-Ouest sont divisées en cantons, les droits des Métis bafoués sous prétexte de maintenir l’ordre, la question du gouvernement provincial renvoyée aux calendes grecques et la Compagnie de la Baie d’Hudson conserve son monopole. Mince consolation: les autochtones, parqués dans des réserves, reçoivent la nourriture promise par le fédéral depuis 10 ans.

La Rébellion du Nord-Ouest a aussi ruiné Batoche. Il est décidé après les événements que le chemin de fer transcanadien passera plus au sud, ce qui met fin à la position de carrefour de Batoche. En quelques années, le « frétage » tombe en désuétude, et la prospérité de la capitale métisse est chose du passé. En 1900, la misère est devenue le quotidien des Métis. Le site de Batoche est complètement abandonné en 1920, après une épidémie qui décime la population restante. Le village ne renaîtra de ses cendres que des décennies plus tard, et plus au nord. D’ici là, un parc national aura été fondé sur le site de l’ancien Batoche, déclaré lieu historique par Patrimoine Canada.

On trouve encore, dans le parc national, l’église et le cimetière de l’époque: les Métis les utilisent toujours. On trouve aussi les ruines de la zareba et les fondations de plusieurs maisons et magasins importants du Batoche de 1885. Les bâtiments d’une ferme, qui appartenait au métis Caron, sont toujours debout, et on peut les visiter. Enfin, on trouve encore un trou de tirailleur, utilisé dans le système de défense lors de la rébellion. Mais surtout, on sent quand on visite ce site encore très boisé tout le poids du passé qui nous écrase. Les paysages et la vue depuis la crête de la mission sont incroyables.

C’est un détour qui vaut la peine pour quiconque visite la Saskatchewan. Ça nous fait réaliser que le Canada ne s’est pas bâti dans la tranquillité à l’ouest de l’Ontario.

lundi 19 juillet 2010

BATOCHE, PARTIE 1: Sur la route



Je tiens à m’excuser auprès de mes fervents lecteurs pour le silence de la dernière semaine. À tous ceux qui croient encore que la Saskatchewan est ennuyante, sachez que je n’ai pas arrêté de la semaine. Nouvelle école par-ci, procès par-là, je n’ai pas eu une seconde pour souffler. En plus, mon mentor, Olivier Bachand, est en vacances. Me voilà donc tout seul comme un grand, à couvrir les grosses histoires. Je remercie d’ailleurs Marjolaine Perron, qui cette semaine m’a été d’un grand secours.

Alors, lorsque la fin de semaine est arrivée, j’ai bien décidé de profiter de mon séjour en Saskatchewan pour – ENFIN! – sortir de Regina et visiter la province. Premier arrêt: le parc national de Batoche, à 4 heures de route au nord de la capitale.

Batoche est un tout petit village, au bord de la rivière Saskatchewan Sud (qui, malgré ce que son nom laisse croire, passe dans le centre de la province). Ses habitants sont des Métis, les descendants de Louis Riel et Gabriel Dumont.

Il existe plusieurs routes pour se rendre à Batoche, mais la plus belle, quoique longue, est la route 11. Pour ceux qui ne sont pas familiers avec les routes saskatchewanaises, c’est un peu comme la 117 lorsqu’elle coupe à travers champs à Saint-Janvier, mais avec une limite de vitesse de 110 km/h. Cette route serpente entre les champs et les vallons, de la frontière américaine à Prince Albert, à 5 heures de route au nord de Regina. Durant près de 4 heures, c’est elle que j’ai suivie, à bord d’une petite Camry grise louée à l’aéroport de Regina.

Les paysages, entre Regina et Rosthern, sont à couper le souffle. Des champs, bien sûr, si longs et larges qu’on n’en voit pas la fin. Des champs de canola, faisant une tache jaune sur des kilomètres, des fourrages, où les vaches vont paître, des champs inondés, où des étangs s’étendent entre les piquets de bois, parfois calmes, parfois agités, selon le vent. Mais pas que des champs. Des vallons, verts comme sur une carte postale de l’Irlande, tout découpés le long de la route, et si hauts qu’à cinq mètres d’eux, on se croirait face à une montagne illuminée par le soleil à son sommet. Des buttes, d’une couleur ocre, ni brune ni rouge, sur le flanc de petites collinettes, avec une vague ressemblance aux paysages de l’Île du Prince Édouard, mais avec du vert toujours non loin. Une rivière, visible de loin, sur la hauteur de la route, s’écoulant paresseusement sur des kilomètres le long du « highway », avant de s’éloigner d’un coude brusque vers l’est, avec une vallée de l’autre côté, verte comme la Comté dans le film Le Seigneur des anneaux, dressant son flanc pour époustoufler l’automobiliste rêveur. À quiconque imaginait la Saskatchewan comme une plaine dorée à perte de vue, révisez votre position.

On fait également de drôles de rencontres sur la route 11. Des camions de rancher, transportant des chevaux, des plaisanciers avec des bateaux, des dix roues avec des rondins de bois gigantesques, chaque billot, le tiers d’un peuplier mature. De curieuses marchandises, aussi: des remorques traînant, fixés sur le towing, des tanks militaires, se rendant Dieu sait où au nord de Regina. Également, de petites bêtes écrasées sur le long de la route, comme au Québec. Mais « petites » est relatif. J’ai croisé des ratons laveurs énormes, et une fois, la dépouille d’un malheureux faon, éventré par quelque vilain camion. Navré pour les amateurs de Bambi.

Après tout ce spectacle bucolique, on arrive à Saskatoon, la ville aux ponts, la grande cité du centre de la province, le Montréal de la Saskatchewan. 220 000 habitants seulement, mais quelle vitalité! Quel spectacle! Des gratte-ciels, des usines, des annonces publicitaires géantes à néons, un théâtre de trois étages de haut. Qu’une petite halte pour remplir le réservoir à essence maintenant à moitié, mais quelle ambiance incroyable!

Retour sur la route 11. Direction: Prince Albert. À nouveau des champs de chaque côté. On remarque un changement de végétation. Au sud de Saskatoon, des prairies aux herbes folles, quelques feuillus éparpillés par-ci par-là, des buissons touffus. Mais au nord de la ville, la forêt reprend peu à peu ses droits. Les buissons prennent de plus en plus de place, les feuillus se mêlent aux conifères, puis disparaissent bien vite, cédant la place aux majestueux pins, sapins et épinettes. Nous voilà à la hauteur du Saguenay. Peut-être même un peu plus haut. Le paysage familier du Bouclier canadien, quoique si différent du Québec, ressort doucement, même si les champs sont toujours rois et que le sol est organisé pour rapporter des cultures. Plus de canola ici. Une culture que je ne connais pas: un arbuste bas, vert, feuillu. Un peu comme un chou, mais plus haut, et avec des feuilles moins larges et luxuriantes. Et surtout, des pâturages: nous sommes en terre d’élevage. Légère nostalgie: ça rappelle Sainte-Anne-des-Plaines, mais avec des panneaux en anglais.

Soudain, un espace à découvert, des champs plus bruns: la terre est visible, sans doute ces plantes cultivées commencent à peine leur croissance. Coup d’œil à l’horloge de la voiture: voilà 3 heures et demie que nous avons quitté Regina. Une pancarte: Rosthern, 1 km. Deux mètres plus loin, un panneau brun, touristique: Batoche, Canada Parks, road 312 East. Next on your right.

La sortie vient très vite. Sortie est un grand mot: c’est une route en gravier qui apparaît, large, entre deux champs, et qui se rétrécit très vite. Une seule voiture passe maintenant dans chacun des deux sens de la circulation. Une pancarte nous prévient que les folies de vitesse, c’est fini: 80 km/h et des courbes. Bienvenue sur la route secondaire 312.

15 minutes sur la 312. Des champs de chaque côté, avec des herbes folles. Sûrement du fourrage pour le bétail. Quand les champs s’arrêtent, de petites allées de gravats s’en vont en direction nord-sud. Entrées privées des fermiers locaux. On continue vers l’est. Des pancartes, disposées environ à chaque 3 km, nous disent de ne pas nous décourager: Batoche est de plus en plus près. Enfin, un signe encourageant: road 221 North. Batoche 9 km.

On tourne à gauche sur la 221, direction nord. Que des façades de maisons et de bâtiments agricoles des deux côtés de la rue, entrecoupées de herbes hautes. De magnifiques chevaux de trait, au poitrail massif et aux pattes larges, qui broutent paisiblement, en vue. Sur les boîtes postales plantées au bout de piquets, à côté de chaque entrée, des noms familiers: Caron, Belanger, Boyer. Nous voilà sur les terres des Métis. Le périple tire à sa fin.

Un fonctionnaire en bottes, avec un gilet orange, nous envoie la main, et nous fait signe de suivre la route, qui tourne brusquement à droite. Le tournant traversé, on revient sur la gauche pour apercevoir, entre les arbres et les herbes hautes, qui sentent le foin, dans le soleil du début de l’après-midi, un bâtiment blanc: Administration. On le contourne, et on prend un autre tournant à droite. Une entrée ouverte et un immense panneau, digne du camping Lausanne. Enfin, la pancarte tant attendue: Batoche Historical Park. Welcome/ Lieu historique de Batoche. Bienvenue.

dimanche 11 juillet 2010

QUAND LA MALCHANCE S’ACHARNE…

Après la pluie, le beau temps, dit un dicton populaire. Hélas, en ce qui concerne les fermiers de la Saskatchewan, il faudrait plutôt dire: « Après la pluie, la perte de revenus. » Selon les plus récents chiffres, environ 30% des terres agricoles de la Saskatchewan sont inondées. Cela signifie que sur tous les champs de la province, près du tiers risque de ne rien produire cette année. Quand on vit de ses cultures, je vous laisse imaginer le désastre au niveau financier.

S’il est vrai que ce qui est majoritairement cultivé dans la province est le blé, l’avoine et l’orge, vous devez savoir que depuis les années 1960, les agriculteurs s’efforcent de diversifier leurs cultures. Ainsi, par exemple, si un été, une maladie frappe le blé, ils sont moins perdants s’ils disposent d’autres produits, intacts, qui peuvent être vendus. De plus, les cultures sont maintenant cotées en bourse, et c’est le marché qui fixe le prix de la tonne d’une céréale quelconque. Donc, si une année il y a surabondance d’orge, le prix de la tonne baissera. Par contre, si le cultivateur saskatchewanais a aussi cultivé du lin, et qu’ailleurs dans le monde ça n’a pas été une bonne année pour cette plante, il peut compenser ses pertes sur l’orge en vendant plus cher que d’habitude sa tonne de lin.

Mais voilà que maintenant, ce système risque de ne pas fonctionner cette année pour les agriculteurs de la province. En Saskatchewan, une des cultures les plus sûres, c’est la graine de canari. Il s’agit d’une plante dont les grains servent à nourrir la grande majorité des oiseaux exotiques, surtout en Amérique latine. Depuis les années 1970, plusieurs cultivateurs s’y sont mis, si bien qu’à l’heure actuelle, le Canada est le principal producteur mondial de graines de canari. Et la province canadienne qui en produit le plus, c’est la Saskatchewan: 90% des graines canadiennes sont cultivées ici, ce type de culture occupe maintenant plus de 400 000 acres: c’est 1% de toutes les terres cultivées de la province.

La graine de canari a longtemps été réputée comme une valeur sûre, car sa valeur bouge peu, comparé aux autres cultures, sur le marché. Mais cette année, hélas, ça va changer. Du fait que partout dans le monde, c’est jusqu’à présent une très bonne année pour les cultures, le Mexique, importateur numéro un mondial de graines de canari, a décidé de tenter de faire baisser les prix. Il a trouvé pour cela une excellente tactique: empêcher la graine de canari canadienne d’entrer sur son sol.

Le prétexte vient du fait qu’une autre plante se mélange beaucoup dans les champs à la graine de canari: le sarrasin sauvage. Officiellement, le Mexique ne veut pas de sarrasin sauvage sur son sol, car cela met en péril la biodiversité de son propre sarrasin s’il y a contamination. Cependant, on n’avait jamais jusqu’à présent consacré de réels efforts à empêcher le sarrasin sauvage d’entrer au pays. Cette année, toutefois, ça a changé: le gouvernement mexicain a informé l’Agence canadienne d’inspection des aliments que toute cargaison de graines de canari contenant UN SEUL grain de sarrasin sauvage serait instamment retourné au Canada. Or, aux dires de la Commission pour le développement de la graine de canari en Saskatchewan, c’est impossible de passer au peigne fin toutes les cultures ainsi. Pour 100 g de graines de canari, on trouve facilement jusqu’à une douzaine de grains de sarrasin sauvage. Imaginez donc le travail pour les trouver dans une tonne! C’est pourquoi, on s’attend maintenant à ce que le Mexique interdise purement et simplement la graine de canari canadienne. La seule façon de les faire reculer, aux dires de Sylvain Charlebois, un économiste que j’ai interviewé, serait d’abaisser considérablement le prix de la tonne.

C’est donc une nouvelle tuile qui s’abat sur la tête des cultivateurs. Après toutes les inondations vécues cette année, plusieurs comptaient sur la graine de canari pour s’assurer un revenu décent. Hélas, si le prix doit baisser autant qu’on le croit, ils devront vendre à perte. Ce serait un vrai désastre pour ces agriculteurs, qui pour la plupart ont des hypothèques à payer et doivent vivre à crédit jusqu’à l’été prochain. L’assurance provinciale sur les récoltes et les fonds débloqués récemment par le fédéral les aideront assurément, mais sans vente à prix élevé de graines de canari, les fermiers d’ici vivront bien chichement.

C’est ici qu’on réalise à quel point la spéculation sur les produits alimentaires est dévastatrice. Déjà, en 2007, avec la crise alimentaire mondiale, on avait pu remarqué ce non sens. Plusieurs économistes avaient fortement demandé à ce qu’on retire les produits alimentaires des marchés, trouvant dangereux de jouer à la bourse la vie de millions d’individus. La nourriture, ce n’est pas comme les actions d’une banque, c’est une nécessité vitale. La flambée des prix fait nécessairement des victimes dans les pays en voie de développement. On voit maintenant aujourd’hui, avec le cas de la Saskatchewan, que revoir des prix trop à la baisse est tout aussi dommageable: encore là, c’est avec la vie de fermiers qu’on joue. Déjà malchanceux cette année pour toutes les autres cultures, si les agriculteurs de la Saskatchewan perdent au change sur la graine de canari, c’est la pauvreté et peut-être même la faillite qui attendent plusieurs d’entre eux. Nul ne sait si le Mexique s’entêtera, mais une chose est sûre: avec tous les malheurs qu’elle a vécut cette année, la Saskatchewan n’a vraiment pas besoin d’avoir le marché contre elle.

mercredi 7 juillet 2010

APRÈS LA PLUIE…LA TORNADE!

C’est décidément un été à oublier pour la Saskatchewan. La nature s’acharne contre la malheureuse province. Ce n’était pas assez des inondations, voilà qu’il grêle au lac Peltier (et toute une grêle, des balles de golf!) et, surtout, une tornade frappe une réserve amérindienne, au nord de Regina. La réserve de Kawacatoose n’a que 1750 habitants, et voilà qu’une centaine d’entre eux se retrouve sans logis: la tornade a soufflé 15 maisons, et 5 autres sont vachement endommagées.

Le désespoir était palpable chez les autochtones. Je suis allé les rencontrer ce matin pour la télévision de Radio-Canada. Un témoignage en particulier m’a frappé: un type qui avait l’air tout ce qu’il y a de plus sympathique, Clark Tobacco, m’annonce qu’il fera du camping à côté de sa maison jusqu’à ce qu’elle soit reconstruite. C’est-à-dire probablement pas avant octobre. Toute sa famille dort donc dans une tente pour l’été, y compris sa vieille mère, qui a de la difficulté à marcher. Mais le pire est que la maison est une perte totale. Toutes les maigres possessions de Clark sont parties dans le vent avec son toit. Déjà, les autochtones en Saskatchewan vivent dans une pauvreté incroyable. Ils n’avaient vraiment pas besoin d’un malheur pareil. Mais qui en a besoin, au fond?

Je suis en Saskatchewan depuis une semaine et demie, et je ne cesse d’être confronté à la misère. Que ce sont les inondés de Yorkton ou les victimes de la tornade de Kawacatoose, le même découragement, la même impuissance. Ça me frustre. Nous passons nos journées sur le terrain parmi des gens qui ont tout perdus, et qui ne sont pas assurés en cas de désastre naturel. Certes, la province s’est engagée, à Kawacatoose comme ailleurs, à fournir une aide matérielle. Mais ça ne couvrira jamais tout, il y a trop de catastrophes partout en Saskatchewan. La province toute entière est sinistrée, du nord, où des feux de forêt font rage, au sud, où la pluie n’est pas foutue de cesser. Les autochtones, d’ailleurs, ne se font pas d’illusions. Déjà, aujourd’hui, ils ont lancés un appel à l’aide pour obtenir des dons du public.

Il y a un autre aspect aussi, à ne pas négliger: les blessures psychologiques. Les habitants de Kawacatoose sont encore traumatisés par ce qui s’est produit. Clark m’avouait ne pas être capable de dormir depuis la tornade, il y a trois jours. Il ne cesse, en fermant les yeux, de revoir son toit partir au vent, tandis que ses oreilles bourdonnent si fort qu’il croit que ses tympans vont se crever. Il se réveille au milieu de la nuit, après avoir rêvé à nouveau à la tornade. Voilà des séquelles qui ne sont pas prêt de s’estomper. Une maison peut être reconstruite. Mais notre sentiment de sécurité, par contre…

Au moins les habitants de Kawacatoose s’entraident beaucoup. C’est définitivement une coutume, ici en Saskatchewan, chez les Blancs comme chez les Amérindiens. Tout le monde met la main à la pâte pour aider au nettoyage, et je suis sûr qu’il en sera de même pour la reconstruction. J’espère que cet esprit communautaire si développé accélérera la reconstruction, tant à Kawacatoose qu’à Yorkton ou Saskatoon. Pour l’instant, à tout le moins, il y a un engagement ferme du gouvernement provincial pour remettre tout sur pied. Pour l’heure, la Saskatchewan est sous perfusion. Mais tout don de sang permet de renouveler celui qui coule dans les veines du malade, et lui assure une santé future.

Pour en savoir plus sur la tornade de Kawacatoose: http://www.radio-canada.ca/nouvelles/regional/saskatchewan/. Allez voir les deux derniers bulletins de nouvelles du Téléjournal provincial.

samedi 3 juillet 2010

L’EAU RAVAGEUSE

Et bien, ce n’est pas fini! Je croyais bien que le gros était passé, mais non! Les inondations se poursuivent en Saskatchewan, d’habitude la province la plus sèche du Canada! Lorsque je suis arrivé, tout commençait à rentrer dans l’ordre, c’était l’opération nettoyage. Or, voilà que coup sur coup, deux nouvelles inondations cette semaine: à Saskatoon, la plus grosse ville de la province, et Yorkton, une ville au nord-est de Regina. On se serait cru en Inde après la mousson: des lacs de 50 cm d’eau, des sous-sols inondés à la tonne, des pannes d’électricité, des centrales d’épuration incapables de fournir, des égouts qui débordent. Le bordel, quoi.

En plus, la Saskatchewan a un relief très plat. Du coup, l’eau s’accumule en un rien de temps. Et comble de malheur, les assurances privées ne remboursent pas en cas de catastrophe naturelle. Ce qui inclut des pluies torrentielles causant des inondations, bien sûr.

C’est donc vers le gouvernement provincial que ces gens qui ont tout perdus devront se tourner. D’ailleurs, le Premier ministre Brad Wall a annoncé hier qu’un comité spécial serait formé pour évaluer le dossier de tous les Saskatchewanais victimes d’inondations ces derniers temps. Voilà qui est nécessaire, mais qui risque d’être dispendieux. Depuis un mois, la pluie frappe souvent, et très fort.

Le grenier à blé du Canada, qui est aussi l’un des plus importants du monde, n’est donc plus qu’une grande éponge gorgée d’eau. Jean Bilodeau, un technicien en son de Radio-Canada qui est né et demeure toujours en Saskatchewan, m’a raconté que c’est la premiè­re fois qu’une telle catastrophe frappe sa province. Selon lui, aucun Saskatchewanais vivant ne se rappelle d’un désastre naturel pareil. Toujours aux dires de Jean Bilodeau, la dernière fois que de telles pluies ont frappées la Saskatchewan, c’était il y a 120 ans. En quatre semaines, la province a reçu la quantité d’eau qu’elle reçoit d’habitude en trois mois. Je vous laisse imaginer le découragement des agriculteurs qui ont perdus leur récolte et des citadins inondés.

Par chance, l’espoir demeure toujours. En allant hier couvrir les inondations de Yorkton, j’ai vu des choses que je n’oublierai jamais, et qui m’ont rassurées sur la nature humaine. Tous ces gens qui s’entraidaient, qui mettaient l’épaule à la roue pour sortir ce qu’ils pouvaient des maisons qui ne sont plus que des pertes totales, m’ont fait sentir que l’esprit communautaire est toujours aussi fort. C’est peut-être le plus grand espoir qui reste actuellement à la Saskatchewan: ses habitants se soutiennent toujours, dans les bons moments comme les mauvais.

jeudi 1 juillet 2010

LE FAIT FRANÇAIS EN SASKATCHEWAN

En cette Fête du Canada, parlons un peu des francophones saskatchewanais, qu’on appelle ici « Fransaskois ». Ils sont environ 20,000, soit 2% de la population provinciale. La Saskatchewan est la province, avec l’Alberta, où l’assimilation a été la plus forte. On trouve encore plusieurs villages au nom très français (Delisle, Courval…), où plusieurs habitants s’appellent Coderre ou Poirier. Pas un seul d’entre eux ne parle français.

Les derniers francophones sont donc dispersés sur le territoire, dans des petits villages à plusieurs heures de route l’un de l’autre. Il y a, dans toute la Saskatchewan, 12 régions où on trouve des Fransaskois:

1-Regina/Moose Jaw (région de la capitale, centre-sud)
2-Saskatoon (grande ville, capitale économique, centre)
3-Prince Albert (grande ville, nord-est)
4-Zenon Park (Une petite ville, nord-est)
5-La Trinité (Trois petits villages, nord-est)
6-Bellevue (Plusieurs petits villages, centre-est)
7-Debden (Une petite ville, centre-nord)
8-North Battleford (Une ville moyenne, centre-ouest)
9-Ponteix (Un village, sud-ouest)
10-Gravelbourg (Plusieurs petits villages, sud)
11-Willow Bunch (Quelques petits villages, sud)
12-Bellegarde (Un village, sud-est)

Cette dispersion sur le territoire empêche les francophones d’avoir une représentation politique, ce qui rend d’autant plus facile la négation de leurs droits par les pouvoirs provinciaux. Ils ont donc institués un gouvernement parallèle, l’Association communautaire fransaskoise (ACF). Celle-ci milite pour les droits des Fransaskois et obtient des subventions du fédéral pour conserver et développer la culture française en Saskatchewan. Chaque région envoie un député (certaines deux) à l’ACF, qui est chapeautée par un président. 16 membres donc en tout, tous bénévoles, qui ont à cœur la protection et la survivance des Fransaskois. Ils sont incontournables pour quiconque parle en français dans la province. J’aurai le privilège de travailler avec eux durant mon séjour dans la province aux prairies infinies.