jeudi 19 août 2010

LA POTASSE…QU’EST-CE C’EST ÇA?

Si vous avez un peu suivi les nouvelles économiques ces deux derniers jours, un mot a certainement dû vous faire sourciller: la potasse. Une compagnie minière basée en Australie, BHP Billiton, a en effet déposé une offre d’achat pour une grosse entreprise dans l’Ouest, la Société de la potasse de la Saskatchewan, ou comme tout le monde l’appelle, Potash Corp.

Si vous êtes un tantinet curieux, je suis persuadé que vous vous êtes demandé pourquoi c’était si important. C’est ce que je vais tenter de vous expliquer.

La potasse est une roche minérale, au même titre que l’or ou le nickel. Elle est d’une couleur rose très foncée, près du rouge. Cela lui a valu le surnom d’« or rose ». Ce minerai sert à de multiples usages. On en trouve dans le savon, dans les colorants chimiques, dans quelques médicaments et explosifs. Mais surtout, la majorité des engrais pour l’agriculture sont faits à base de potasse. 95% de la production mondiale de potasse est ainsi utilisée pour les fertilisants. C’est donc en grande partie grâce à la potasse que nous avons autant de nourriture disponible dans les pays développés.

L’industrie de la potasse est un de nos fleurons économiques canadiens. Notre pays compte les plus importantes réserves de potasse au monde: 75 milliards de tonnes environ. Ces gisements se trouvent essentiellement dans l’Ouest, mais aussi en plus petite quantité dans les Maritimes. Plusieurs milliers d’emplois dépendent de ce secteur. En Saskatchewan, la province qui produit le plus de potasse au pays, cela crée environ 3500 emplois directs. Je n’ai pas les chiffres pour les emplois indirects, mais compte tenu des nombreuses usines d’engrais que compte la Saskatchewan, je peux assurer sans trop me tromper qu’il s’agit d’une ressource économique majeure pour la province.

Or, voilà que Potash Corp, producteur numéro un mondial de potasse, risque de passer sous contrôle étranger. Bien que le conseil d’administration ait clairement dit à BHP que leur offre ne les intéressait pas car insuffisante, la compagnie étrangère a décidé de s’adresser directement aux actionnaires. Ceux-ci peuvent vendre chacune de leurs parts 130$ américains CASH sur le marché, jusqu’au mois d’octobre prochain. Il y a donc un risque que, si les actionnaires acceptent majoritairement de vendre leurs parts à BHP, le groupe minier australien acquiert Potash Corp en contournant le CA.

Face à cette éventualité, deux choix s’offrent à Potash Corp: ou ils laissent BHP les acheter à rabais (car l’action pourrait fort bien se vendre à plus de 160$ US), ou ils coupent l’herbe sous le pied à BHP en fusionnant avec une autre compagnie minière. Or, pour l’instant, les économistes ne voient que trois entreprises qui pourraient « sauver » Potash Corp, tous étrangères: l’anglo-australienne RioTinto (connue pour avoir racheter Alcan au Québec), la brésilienne Vale et la chinoise CIC. Ainsi, d’une manière ou d’une autre, à moins d’un miracle, Potash Corp ne restera pas canadienne.

Compte tenu des emplois dans la balance, il est inquiétant de penser qu’un tel joyau, qui rapporte des milliards de dollars, qui est un citoyen corporatif canadien et paie des impôts au gouvernement fédéral, puisse passer sous contrôle étranger. C’est que jusqu’alors, aucune acquisition de minières canadiennes par l’étranger n’a été bénéfique à long terme pour notre pays. Bien sûr, les gisements restent au pays, et donc, les mineurs n’ont pas trop à s’inquiéter. Mais l’industrie de la transformation a toujours pâtit de telles transactions. Meilleur exemple: Alcan, au Québec. Plusieurs travailleurs des régions de Valleyfield et de Shawinigan ont perdus leurs emplois lorsque RioTinto a décidé de concentrer ses usines d’aluminium au Saguenay – Lac Saint-Jean. Et il n’y a pas que les emplois manufacturiers en cause: une fusion amène nécessairement des licenciements de personnel de bureau. On se retrouve avec deux sièges sociaux, on coupe donc dans le gras. Pourquoi conserver vingt comptables quand dix suffiront à la tâche?

Les autres choix ne sont pas reluisants. Vale, lorsqu’elle a acquis Inco, en Ontario, a aussi procédé à des mises à pied massives. Quant à CIC, la chinoise, elle n’est pas réputée pour être un bon citoyen corporatif. De plus, la Chine a actuellement grand besoin de potasse pour son agriculture. Nul doute que si une entente est conclue de ce côté, cela inclura des prix de vente très bas du produit pour les Chinois. Comme ceux-ci forment, avec l’Inde et le Brésil, le premier marché mondial pour ce minerai, je vous laisse imaginer les pertes monétaires que cela entraînerait pour une compagnie qui contribue à l’économie canadienne.

Bien sûr, plusieurs diront qu’avec la pollution que cause les mines, ce serait un bon débarras. Mais puisque les mines demeureront peu importe l’acquéreur, mieux vaut que le propriétaire soit canadien, non?

Évidemment, nous sommes ici dans la spéculation. Reste que la situation est préoccupante. Avec ce mouvement transnational de fusion d’entreprises, que va-t-il rester au Canada si les seuls emplois qui demeurent au pays sont celles de fournisseurs de matières premières? Nous avons beau être riches comparés à d’autres pays, il faut penser à l’avenir. Je doute que quiconque souhaite que dans une centaine d’année, notre économie ressemble à celle du tiers-monde. Car quand on ne fait qu’envoyer des ressources « brutes » dans les autres pays, on perd le contrôle sur les prix décidés à la bourse, et du coup, sur nos conditions de travail.

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